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Lettres de ma vie parallèle

Court-circuit (2ème partie)

Deuxième partie : Rebels without a cause

Quand les joueurs se rebellent contre le monde (le côté MJ)

vers la première partie

Vous êtes Maître de Jeu. Vous avez prévu un scénario, avec des réactions " logiques " de la part de vos joueurs. Ou bien vous voulez les faire avoir peur pour leurs persos. Vous mettez en scène des PNJ puissants et attendez des PJ un comportement adéquat… Les joueurs devraient respecter plus forts que leur persos ou simplement éviter de se les mettre à dos.

Et voilà qu’un joueur joue n’importe comment ; il veut suicider son personnage? il est fou !? Mais il s’imagine quand même pas que vous allez le rattraper ?

Du calme. Posez-vous d’abord quelques questions pour comprendre comment on en est arrivé là:

bulletest ce qu’il y a eu abus d’autorité ?

Certains MJ voient dans le JdR l’occasion de jouer au petit chef. Mais les joueurs ne sont pas payés pour obéir. Parfois ils rejettent l’attitude autoritaire du MJ et se dressent contre sa domination, par PJ et PNJ interposés. Délicieux sentiment de libération au moment ou le joueur peut signifier au MJ: " ah bon ton perso/tu joue au petit chef, mon perso/moi te rejette ! "

bulletest-ce que les joueurs ont eu prise sur le scénario, ou bien est-ce qu’ils ont dû assister aux événements ?

Certains scénarios sont trop linéaires. Les joueurs n’ont de contrôle sur rien, ce qui renforce leur désir de marquer leur indépendance à la première occasion, de refuser les perches que tend le MJ ou de sortir, "juste pour voir" d'un chemin trop balisé de l’intrigue.

bulletest-ce qu’il y a de la tension dans la partie ?

Les joueurs sont venus pour se détendre et s’amuser, et se libérer de la pression que leur mettent leurs famille, parents, profs, patrons ou clients. Or, certains univers de jeu sont stressants, restrictifs (" tu ne peux pas faire ça "), rigides, ou mettent les joueurs en concurrence. Certains ne supportent pas de devoir respecter tant de règles et de contraintes dans le jeu en plus de leur vie réelle. Rebeller son perso évacue le stress, et sans conséquences dans la réalité.

bulletest-ce que le joueur qui " disjoncte " a pu jouer ?

Cas typique : l’aventure oscille depuis plusieurs séances entre enquête, intrigues, diplomatie et palabres interminables, sans combat défoulatoire. Le joueur bourrin du groupe s’ennuie, et son guerrier part massacrer quelques passants, pour rappeler qu’il existe.

bulletles plans des joueurs ont-ils été systématiquement déjoués ? Leurs projets ont-ils été contrés ?

Quand les MJ donnent l’impression de jouer contre les joueurs…

bulletest-ce que les personnages ont été maltraités ?

Boum ! Les catastrophes pleuvent sur les PJ ! Si les joueurs aiment se faire peur, ça marche. D’autres s’attachent d’autant plus à leurs persos maltraités. Mais la plupart des joueurs n’aiment pas que leurs projections d’eux-mêmes (leur persos) soient malmenées, alors qu’ils fantasment sur leur progression. Ils ont l'impression que ce sont eux, les joueurs, qui sont maltraités par le MJ!

bulletest-ce que les PNJ rencontrés sont tous surpuissants ou invincibles ou arrogants ?

Les MJ tentent de contrôler la partie à travers des PNJ surpuissants, ou se défoulent eux-mêmes avec, ou encore profitent de leur potentiel créatif pour assouvir leurs fantasmes à travers les PNJ qu'ils créent. Et des PNJ arrogants ou moqueurs trop bien interprétés, c’est de la provocation, parce que les héros, c’est les persos des joueurs 

Certains joueurs acceptent la soumission ou l’humilité comme une des règles "réalistes" de l’univers (ex. : les persos ont cherché un emploi, et ils ont accepté d’être aux ordres d’un PNJ), mais d’autres veulent des persos forts, reconnus, et libres.

bulletest-ce que l’aventure a avancé, ou bien s’est-elle perdue dans des discussions sur les règles ou hors-jeu?

Quand une aventure est bloquée, les joueurs font n’importe quoi pour qu’il se passe quelque chose.

bulletest-ce qu’une des valeurs du joueur a été attaquée ?

Ne riez pas, les joueurs ont des valeurs - (bon d’accord, je ris moi-même en relisant cela).

Les valeurs peuvent être entre autres: l’impartialité du MJ, le respect des règles, de la vraisemblance, de la solidarité entre personnages, du caractère "bon" du perso, de sa liberté d’action,… Je ne parle pas ici de préférences, mais de valeurs, auxquelles certains joueurs tiennent mordicus , au point qu’ils ne conçoivent pas le jeu de rôles sans cela.

Alors quand les règles sont transgressées, que la vraisemblance est méprisée, que les joueurs complotent les uns contre les autres, qu’une manoeuvre fait perdre au PJ ses trésors durement gagnés,  ou que l’aventure oblige le joueur à jouer à contre-emploi (ex: un immonde salopard alors que le joueur est un brave gars); bref, qu’arrive-t-il lorsque ce qui compte vraiment pour le joueur est attaqué ?

Si le joueur est démonstratif, il quitte la table ou démarre une dispute. S’il est plus discret, il sabote la partie par PJ interposé, écoeuré.

bulletajoutez à cela des circonstances sur lesquelles le MJ n’a pas eu de prise : la fatigue des joueurs, leur humeur ; les problèmes rencontrés ailleurs ; l’ambiance autour de la table et les relations entre joueurs…

Ainsi, pour traiter un " court-circuit de joueur ", il faut en chercher la cause. D’abord, cela vous évitera de reproduire les circonstances qui l’ont poussé là. Ensuite, vous réagirez différemment selon que le joueur aura pété les plombs par malentendu, par représailles, par réaction viscérale, ou parce qu’il est poussé aux abois par la tournure de la partie.

Parmi la multitude de réponses possibles de la part du MJ, il y a:

  1. Expliquer
  2. Faire jouer le perso contre le joueur.
  3. Ignorer ce que dit le joueur
  4. Prendre en compte l’action,
    1. mais en diminuer la portée…
    2. …ou faire des représailles

1. Expliquer

Les actions incongrues sont souvent dues à des malentendus. Il arrive que les joueurs n’aient pas saisi un aspect, parfois évident, parfois subtil, que vous MJ vous savez, puisque vous connaissez le monde ou le scénario sur le bout des doigts (on espère…). Vous avez peut-être simplement oublié de le signaler tellement il vous paraît évident. Un peu d’explication sur le monde, et les joueurs rentrent dans le rang.

Exemple significatif dans Star Wars 1ère édition de West End Games, p.93 de la version Jeux Descartes :

Joueur : - très bien, nous faisons demi-tour et attaquons le croiseur impérial.
MJ: - vous croyez vraiment que c'est une bonne idée?
Joueur: - pourquoi pas ?
(...)
MJ (prenant une feuille) : - regardez. Vous voyez cette feuille de papier? Voici un Croiseur Stellaire. Voici le croiseur… (il dessine un énorme triangle qui prend la plus grande partie de la feuille). Et voici votre vaisseau… (il touche à peine la feuille, ne laissant qu'un point minuscule). Vous comprenez ce que je veux dire ?
Joueur : - Euh. Ouais. Ah les copains ? Préparez-vous à passer en vitesse lumière.

Je me souviens aussi d’avoir dû mettre au bagne deux Personnages-Joueurs ayant commis un crime, parce que le MJ que j’étais avait oublié de préciser que dans ma vision de CyberAge, la police scientifique avait fait des progrès formidables en 60 ans... Je n’avais pas arrêté le déroulement de l'aventure pour préciser ce point, du coup j’ai "sorti" les PJ, … et planté la partie !

Si le joueur ignore ce que son personnage sait, expliquez-lui les conséquences de son acte, et donnez-lui une chance de changer d’avis.

Cela peut évoluer en discussion, où vous expliquez au joueur pourquoi son action vous paraît relever de la psychiatrie, et où le joueur explique de son côté pourquoi il pense qu’il a raison. Vous pourriez même avoir à reconnaître que vous avez tord…

Il se peut que la discussion dure trop longtemps si le joueur persiste. Envisagez alors d’autres réponses, mais la discussion résout beaucoup de choses.

 

2. Faire jouer le perso contre le joueur.

Idéalement, vous avez accepté des personnages-joueurs compatibles avec l’univers dans lequel ils évoluent et l’aventure que vous prévoyez.

Vous devez vous demandez de la façon la plus logique possible si le personnage ferait ce que le joueur veut qu’il fasse.

Dans GURPS, l’avantage de personnage " common sense " est fait spécialement pour les joueurs débutants ou ceux qui disjonctent facilement. Il permet au joueur impulsif, conseillé par le MJ, de reconsidérer une action stupide, qui ainsi n’a jamais existé.

Exemples : un paysan qui voit son Roi pour la première fois de sa vie commencerait-il à marchander la prime de mission ? Se lancerait-il sabre au clair à l’assaut du Dragon ? Le samouraï élevé depuis sa naissance dans le culte des vertus chevaleresques se mettrait-il soudainement à les piétiner ?

Si la réponse est non, le personnage ne le fait pas, même si le joueur le veut.

Évidemment, tout n’est pas simple, et l’attitude du PJ n’est pas fixée une fois pour toutes (au contraire, faire évoluer son perso est un des intérêts du JdR). Parfois, le personnage aurait pu craquer comme le joueur l’a fait.

Pour décider si le personnage aurait craqué, il faut vous baser sur la définition du personnage, la façon dont il vous a été présenté. Recentrez l’action sur la nature du personnage ; un joueur impulsif peut avoir du mal à se souvenir qu’il a créé un PJ réfléchi et que vous ne l'avez accepté que parce qu'il était réfléchi, et que cela convenait au scénario.

Comme dans la réponse 1, exposez votre point de vue sur son perso et rappelez le contexte dans lequel il a été élevé: " Non, ton perso ne peut pas agresser le prêtre, parce qu’au Moyen-âge il est croyant comme tout le monde et il est convaincu qu’il brûlerait en enfer "
Ce rappel de la nature du PJ est particulièrement valable pour des personnages " non-intuitifs " dans des univers compliqués, lorsque le MJ en sait bien plus que les joueurs : Néphilims, vampires et autres créatures du WoD, Ambriens, etc.

Pendragon est le jeu type où on peut faire agir le personnage contre le joueur, soit qu’il faille " forcer " le joueur à respecter les règles élémentaires de la chevalerie, soit que cela rajoute un élément dramatique / cornélien / hollywoodien à l’intrigue (Ivanhoë choisira-t-il son amour ou son devoir ? etc.)

S’il n’est pas possible de s’entendre avec le joueur sur l’interprétation du personnage, ou si l’attitude du personnage n’est pas évidente, laissez les dés décider. En plus, les dés ont la curieuse propriété de légitimer quasi divinement leur résultat, pour le meilleur et pour le pire…

C’était le réflexe de MJ Laurent : tester la caractéristique pertinente (ici : la Sagesse).
Et c’est un bon réflexe, respectueux de la nature du perso et des probabilités. 

Le défaut de la méthode 
: tout repose sur l’adéquation personnage/aventure. Si le perso aurait pu craquer et que vous ne l’aviez pas prévu, vous pouvez jeter votre scénario. Soyez fair-play, acceptez l’action et passez à la réponse 4.

 

3. Ignorer ce que dit le joueur.

Jésus a dit : " rendez à César ce qui appartient à César" (Mathieu chap. XXII, verset 21) et Rappar a dit " laissez hors-jeu ce qui appartient au hors-jeu ".

Le personnage ne fait pas forcément ce que dit le joueur, pas plus qu’il ne dit les réflexions que le joueur fait hors-jeu à ses copains (" quel enfoiré ce Prince ! "). Laissez sortir la pression. Partager ses sentiments et communiquer font du JdR un jeu social.

Parfois le MJ se doit d’être sourd.

Cette option marche très bien avec des joueurs qui persistent à faire leur connerie, non pas au nom de leur perso, mais parce qu’eux-mêmes ont étés contrariés et ne veulent pas perdre la face en revenant en arrière. Allez, un exemple vécu : la gifle.

La capitaine d’un transport enguirlande un PJ lieutenant qu’elle soupçonne de mettre enceinte des jeunes filles avant de repartir vers les étoiles. Un autre joueur intervient.

Joueur 2 (Soldat) : - "laissez le lieutenant tranquille, vous dites ça parce que vous êtes jalouse !"
<son personnage aurait pu le dire>

MJ (Moi-même) : - la Capitaine te gifle, espèce de malotru !
Joueur 1 (Lieutenant) : - je lui donne une gifle, vlan !
<mais son personnage n’aurait pas pu le faire>

MJ : - mais non tu ne fais pas ça ! (ignorant totalement la déclaration du joueur) : - après avoir giflé le soldat, elle se tourne vers le lieutenant et recommence à le disputer.

J’aurais pu demander un test de sang-froid, j’aurais pu discutailler. J’ai préféré ignorer l’action hors roleplay.

C’est une attitude délicate, parce que le joueur peut protester que vous ne l’écoutez pas (et d’autant plus s’il a craqué justement parce que vous ne l’écoutiez pas, trop pris dans votre magnifique scénario). Toute la manoeuvre est de démontrer au joueur que vous ignorez ce qu’il dit dans son intérêt. Par exemple, vous enchaînez sur les conséquences bénéfiques de sa non-action ("ouh là la, heureusement qu'il n'a rien dit. Il paraît que ce Prince arrache la langue de ceux qui lui manquent de respect!"). Cela vous évite de longues explications et cela ne brise pas le rythme de la partie.

 

4. Prendre en compte l’action...

a …mais en minimiser les conséquences.

Vous minimisez les conséquences de l’éruption du personnage. Bonne attitude…

- si vous vous apercevez que vous avez commis plusieurs erreurs de maîtrise, et ne pouvez revenir en arrière.
- si vous voulez garder la partie sur les rails, et éviter que le scénario ne dérape dans la 4ème dimension.

Après tout, qu'un PNJ ignore une " scène " n’est pas forcément irréaliste. Notre première réaction face à un inconnu qui craque est de l’ignorer si possible, ou de tenter de le calmer, mais pas forcément de riposter. Dans les exemples de PJ qui perdent leur moyens face à des personnages puissants, ceux-ci vont peut-être simplement hausser les épaules, faire semblant d'ignorer les importuns, ne pas répondre et laisser leurs lieutenants/ gardes/ sous-fifres les évacuer.

Laissez aussi les autres joueurs rattraper le coup : s’excuser au nom de leur camarade, le calmer, le raisonner...

Inconvénient : les joueurs vont se croire tout permis. Profitez alors de l’occasion pour informer le joueur de ce à quoi il a échappé, et faire comprendre que vous ne laisserez pas passer n’importe quoi, une deuxième fois.

b. …ou déchaîner des représailles.

Vous considérez que le perso fait exactement comme le joueur, et vous appliquez toutes les conséquences (voire pire). La mouche du coche énerve le cocher, qui l’écrase. Le notable est le beau-frère de l’empereur. Le vampire lâche ses goules. Les personnages perdent leur statut, se font des ennemis, deviennent hors-la-loi. Ils se sont rajoutés des obstacles, et doivent tout recommencer, mais d’encore plus bas…

Cette réponse est extrême, mais elle est aussi celle qui permet de faire le plus rebondir l’aventure.

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Du point de vue de l’Art de la Maîtrise, vous aurez montré que vous / votre univers / vos PNJ n’acceptez pas n’importe quoi, et que les joueurs se créent eux-mêmes des difficultés. Ce brusque revers calmera les grosbills. Les joueurs qui n’auront pas craqué feront pression sur leur camarade qui les aura mis dans les ennuis. Donc par le bâton, les joueurs rentrent dans le rang. Cela passe malheureusement en général par une engueulade.

 
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Du point de vue de l’aventure : les coups, ça fait mal, mais ça donne du piquant à la vie. Si vous en êtes arrivés là, c’est que l’aventure était jusque là trop facile ; les persos s’en sortaient trop bien, les joueurs se relâchaient. Les nouvelles contraintes rendent l’aventure plus périlleuse, et plus intéressante.

Faire subir les conséquences aux persos rappelle les joueurs à la prudence et à la réalité du monde. Le roleplay en général va y gagner, puisque les joueurs seront plus en phase avec leur monde et avec leur perso. (lisez je suis une légende si vous ne l’avez pas encore fait)

 
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Du point de vue du jeu : Churchill a dit : "le pessimiste voit en toute opportunité une contrainte, l'optimiste voit en toute contrainte une opportunité". Le défi est plus grand si aucun écart n’est toléré, et ceci devrait motiver les joueurs. 

Dans les univers de Japon féodal, où il faut jouer sous la double contrainte de l'honneur et du respect des structures sociales figées; à Star Wars, où il faut se battre tout en restant " du bon côté de la Force" ; à Vampire ; … 

Voilà pourquoi les JdR vous proposent de jouer des rôles " difficiles " dans des univers pleins de limites à ne pas franchir, plutôt que des rôles où " tout est permis " : c’est tout simplement plus intéressant ! Les limites poussent les joueurs à les dépasser et à inventer des solutions, augmentant leur satisfaction d’avoir réussi.

Le défaut de la méthode, est que

bulletvous vous retrouvez en train d’improviser à fond l’épisode imprévu de " l’évasion de la prison où les conneries des PJ les ont conduit"…
bullet

à force de ne pas tolérer les écarts de conduite des joueurs, vous pouvez être entraîné dans une spirale d'enchaînements logiques, qui finit par ne plus laisser de marge d’action à l'intrigue, qui file tout droit vers le plantage. Un cas de " je gifle le capitaine ", ni rediscuté, ni ignoré, a ainsi fini en massacre de PJ. (voir J’avoue tout, comment j’ai tué tous les Héros).

Tout MJ est plus ou moins porté à agir selon une des 4 façons exposées plus haut. Chacune a ses défauts et ses avantages, et est plus ou moins adaptée au contexte, au personnage, à l’aventure, au joueur, au MJ, au groupe et à un tas d’autres facteurs qui interdisent de donner une solution unique. 

La seule règle universelle est la suivante: les pétages de plomb sont inévitables, parfois, ils sont même intéressants. Si vous ne voulez pas que la partie parte en couille, et en particulier en dispute, la réponse universelle est : gardez votre calme, ne soyez pas plusieurs à péter les plombs !

(c) Rappar

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