Eh bien ça se passe dans la même campagne de lycée
que la non-vengeance du fantôme, à Rolemaster,
dans une contrée assez peu peuplée, habitée par une population un peu
primitive. Mais il y a un hic : dans cette région se sont répandues
des créatures assez sournoises appelées Vampires.
Les PJ apprennent leur existence, et l’un d’eux, Elkantar Zolond de
Eryndlyn (le vrai, l’unique) SOUHAITE devenir un vampire pour avoir
des pouvoirs surhumains. Il pense qu’il va pouvoir contrôler ses
pouvoirs, et faire le bien.
1. Le perso
Elkantar Zolond
: domestique d’un autre PJ, albinos. Guerrier-Moine, niveau 5 à ce
moment-là du scénar. Il est originaire de ce pays pauvre. Il est assez
ambitieux. Elkantar avait quitté son village natal après avoir tué
accidentellement son maître (ou son père, je ne sais plus), poussé
par une force qui l’oblige à tuer tout ceux qu’il combat.
2. le joueur
Bertrand, le joueur d’Elkantar, est un joueur de
jeu vidéo avant tout, maintenant joueur professionnel de Starcraft et star en Corée. A l’époque, il avait fait peu de jeu
de rôles. Mais c’est un excellent joueur, qui réagissait à mon sens
de manière très crédible par rapport aux connaissances de son perso.
D’après les idées qu’il me fournissait pour chacun de ses persos,
je peux dire qu’il n’avait pas une idée foireuse des univers JdR
(pas du tout le genre « je connais que AD&D » …) En
plus, il s’intéressait au système de règles (Rolemaster…), alors que je tentais justement de le rendre aussi
transparent que possible. Et je dois avouer que sa curiosité sur le
background atteignait rapidement les limites de mon savoir sur le monde
que j’avais inventé. Il ne le faisait pas pour le plaisir de dérouter
le MJ, mais pour explorer de nouvelles voies. Je trouve que c’est une
qualité quand un joueur pousse le MJ à réfléchir à des aspects du décor
dont il ne soupçonnait pas l’importance.
Ce joueur est sans doute le joueur le plus intéressant que je
connaisse. Il est toujours prêt à sortir des sentiers battus. Pour son
deuxième perso, il potassa des règles avancés pour faire un perso sur
mesure, et il essaya de développer un historique et des traits de
caractères ; un total de 4 pages et demi de texte tapé à l’ordi
tout seul, c’était plus que tout ce que j’avais pu extraire des
autres joueurs en étant tout le temps avec eux. Bertrand avait
la volonté de faire vivre ce deuxième perso, avec une réelle
motivation pour lui donner des buts intéressants.
3. La manœuvre
Comment j’ai réussi à lui donner une
vision séduisante du vampire… De vieux souvenirs difficiles à
faire surgir : ce soir-là, on avait picolé une bouteille de gin, d’ailleurs !
Le groupe arrive dans une ville
totalement déserte peu avant la tombée de la nuit. Une personne les
invite à rentrer chez lui. Ce PNJ - que j’avais d’ailleurs conçu
exprès pour ça - souhaite informer le groupe d’un grand danger :
il existe des créatures appelées Vampire, maléfiques et très
puissantes, qui ont pris possession des habitants de la ville.
Le fait de devenir une de ces créatures va à l’encontre des réactions
standard du « joueur de base » : tous les membres du
groupe, sauf Elkantar, sont convaincus immédiatement que ce sont des créatures
à éviter, influencés par les préjugés des joueurs, que leurs persos
n’ont pourtant pas. Elkantar (ou Elky), lui, montre un vif intérêt
pour la vampirisation.
Bertrand
voulait vraiment que son perso soit Vampire ! Ce devait être une
sorte de challenge pour lui : il se disait qu’avec tous ces
pouvoirs, utilisés de manière adéquate, il devrait pouvoir faire de
bonnes choses. Je n’ai pas fait grand-chose pour fixer les
opinions, et à vrai dire, je ne voulais pas qu’un membre du groupe
devienne Vampire.
Elky persiste, malgré des arguments
supplémentaires du PNJ, et des arguments véhéments de ses compagnons.
Donc la nuit, pendant que ses compagnons dorment, Elky se rend au bâtiment
principal de la ville : là, un être d’une grande beauté
l’attend, et lui dit que son maître, le Lord Vampire SuperBill, veut
faire de lui son serviteur : ça plait beaucoup à notre héros.
J’ai joué ceci en face-à-face avec
le joueur, et les autres ne savaient pas exactement ce qui s’était
passé. Ils ne pouvaient que supposer.
A ce moment-là, je me dis qu’il est
maintenant face à un vrai
vampire. Je dois faire en sorte de lui montrer la meilleure facette du
Vampire, jusqu’à qu’il soit l’un d’eux. Dans le même temps, je
me dis que j’arriverai bien à le faire revenir vers le groupe –
j’ai bien réussi à faire revivre un perso!
Elky est transporté jusqu’à l’île maudite
où loge le Maître des Vampires. Il se trouve nez à nez avec un
individu majestueux, sublime et sombre, dont la présence est presque
palpable. Il parle et ses paroles respirent l’intelligence (le génie,
même). Il dit qu’il peut donner à qui veut une beauté sans égale,
une force impressionnante, une puissante incalculable et surtout une vie
éternelle.
En termes de RMSS, l’être de grande
beauté qui contacte Elky est un Vampire supérieur (cf. Creatures &
Monster (Sourcebook RMSS) ; et il rencontre sur l’île un Vampire
GrosBill, hors classe, au dessus des Vampires standard du bouquin de
monstres – un niveau 50+.
Elky jubile, il suppose que le fait de devoir
sucer le sang et vivre la nuit ne le forcera pas à pourrir la vie de tous
les êtres humains.
Les autres PJ se doutent de ce qui s’est passé,
et finissent leur mission sans Elky.
J’ai donc obtenu deux résultats :
l’aspect séduisant du Vampire a convaincu un PJ ; la mise en
garde véhémente du PNJ a convaincu les autres.
4. le prix
A son premier réveil en tant que Vampire, Elky
est devenu un être attirant et fort, puissant, SuperBill.
En termes de jeu, ça veut dire des gros
bonus partout, des capacités à se transformer (en brume, en
chauve-souris, en loup, en beau-gosse…) et il est virtuellement
immortel.
Mais le PJ va découvrir la face cachée du
Vampire, celle que l’on découvre uniquement quand c’est trop tard.
Il se rendra compte du terrible contrat qu’il vient de passer avec ce
monstre.
Au départ, je le laisse assez libre,
parce que sa « malédiction » agira peu à peu, et de plus
en plus fortement.
Elky part donc rejoindre ses collègues PJ.
Mais, il se voit contraint de voyager uniquement la nuit, accompagné
d’une lourde charrette portant son cercueil et la terre de son Maître
Vampire que l’on doit garder à l’abri des regards indiscrets. Il
doit aussi boire du sang… Mais notre nouveau Vampire veut faire le
bien !
Il rejoint un petit village, mais cela fait
quelques jours qu’il n’a pas eu sa ration de sang frais. Il se
retient.
Pour simuler la chose, les règles
stipulent que la créature s’affaiblit à force de jeûner. Le joueur
fait des calculs, se demandant combien de jours il peut tenir en étant
encore assez en forme pour attaquer si nécessaire un faible humain. Ses
caractéristiques, très améliorées par son nouveau statut,
s’abaissent en dessous du seuil de son ancienne vie. Cela n’a plus
d’intérêt d’être Vampire s’il perd ses capacités durement
acquises !
Elky attaque alors des proies, mais il ne veut
pas les tuer ! Il veut leur pomper juste un peu de sang pour
survivre. Mais des accidents arrivent, et notre héros se retrouve avec
quelques morts sur la conscience…
Par ailleurs, le fait de voyager la nuit attise la méfiance de la population. D’autant plus que la rumeur de
la présence de Vampires se répand. Et je ne sais plus trop à quel
moment et dans quelle circonstances (je crois qu’un jour, Elkantar
fait un massacre), je sens qu’il y a un déclic : le
joueur prend conscience de l’absurdité de l’état de son perso.
Il est seul, détesté de tous, il a un
serviteur qui tire une charrette, et il traîne avec lui une ribambelle
d’esclaves qu’il maintient en vie, et qui lui obéissent grâce à
quelque sortilège malfaisant. Lui-même s’affaiblit parce qu’il
veut faire le bien.
C’est le moment de
passer à la vitesse supérieure : je décide que la nécessité de
jouir du sang des hommes se fait plus pressante, que sa mentalité
change. Je précise que je n’avais et n’ai toujours pas joué au JdR
Vampire, ni lu Anne Rice.
Ô miracle ! le
joueur est bon ; il accepte la situation et la joue comme telle :
son perso se résigne à tuer pour survivre, ce qui correspondait
exactement à ce que je voulais ; un pas de plus est franchi vers
la cruauté et la malfaisance. Ouf ! J’avais bien cru un moment
que pour l’empêcher de faire le bien, j’allais devoir le
contraindre à des actions forcées, utiliser des arguments d’autorité
tels que « Tu es mauvais maintenant, fais le mal ».
Mais j’ai dû bien maîtriser,
parce que j’ai pu faire conclure de lui-même à Bertrand, sans jouer
son perso à sa place, qu’il était vraiment devenu une créature
immonde, détestable et torturée.
5. la fin
A ce moment-là, le perso étripe, égorge, mord
et suce. Après mûre réflexion, le joueur comprend qu’il n’est
plus vraiment jouable de rejoindre le groupe des PJ dans un tel état.
Je raconte vite fait la fin du perso, rongé par
la malédiction, et qui arrive dans des terres plus peuplées. Il ne
peut plus que se cacher et va se réfugier dans une crypte où il y
installe son cercueil, hibernant en attendant qu’une chair fraîche
lui rende visite.
Le perso est abandonné, devenu trop vil et
sournois à l’image d’un vrai Vampire, malgré les rêves de bonté
du personnage qu’il était avant.
Je suis très fier de ce coup. Convaincre un joueur, en lui instillant
des idées, d’aller à l’encontre de l’habituel « héros-PJ »
qui pourfend les méchants Morts-Vivants. D’avoir su donner une image
séduisante du vampire, pour ensuite décrire la réalité atroce de ce
que c’est. D’avoir pu maintenir assez longtemps l’impression de
libre-arbitre du joueur, et de lui avoir fait peu à peu prendre
conscience de sa condition de mort-vivant néfaste. Et en même temps,
le joueur a très bien joué la personne séduite par la puissance
attirante des Vampires.
Bertrand savait partiellement que c’était
une tare d’être Vampire, mais il a voulu tenter de contrecarrer la
malédiction du « je bois du sang frais donc je suis un gros
salaud ». Mais je ne lui en ai pas donné la possibilité, je suis
un gros enfoiré ! Je ne devrais pas être trop fier de ce coup,
puisque je n’ai pas eu à faire grand-chose pour le convaincre. Mais
je pense qu’une fois atteint le point de non-retour (Elky vampirisé),
j’ai assez bien joué d’une part le côté séduisant, d’autre
part, le côté affreux.
J’ai trouvé que c’était la meilleure manière
de rendre compte de l’ambiguïté du Vampire - car pour moi, le piège
que représente ce personnage constitue tout son intérêt. Utiliser le
Vampire comme adversaire de combat est moins bien que s’en servir en
tant qu’élément d’intrigue ; en plus d’être super fort, il
est subtil, perfide et malicieux. En apparence : la beauté, la
force, la puissance, un être attirant ; au fond : l’éternité
morbide, l’horreur, la frayeur, l’abject et le Mal.
En tout cas, ce n’est certainement pas l’hémoglobine
des séries B qui fait la richesse du mythe.
ANNEXE : Sur l’apparition des Vampires dans mon monde
Le vampirisme était à l’origine une vieille
tradition Kobold ( !!! ) de Forín. On offrait aux Kobolds-Vampires
de jeunes adolescents bien saignants pour qu’ils ne sortent pas de leur
tombe et hantent les lieux habités. Un jour, une expédition humaine
vint explorer la forêt et tomba sur les tombes Kobolds. Ils pillèrent
les sépultures mais l’un d’eux fut attaqué par un Kobold-Vampire.
Il mourut le lendemain et on remporta son cadavre dans son village.
Seulement en chemin, le cadavre vampirisa toute la troupe, et c’est
une colonne de Vampires qui atteignit les landes de Cornor, répandant la
« maladie » hors de son territoire « endémique ».
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