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Je suis une légende

C'était en 1993, chez un rôliste qui habitait Paris. Nous venions d'enchaîner deux nuits de jdr.

Nous nous retrouvions tels des vampires la nuit tombée pour jouer jusqu'au matin au jeu du même nom. Épuisant… et surtout l'impression de ne jamais quitter l'univers de Vampire.

Rien d'autre n'occupait mon esprit du fait de la tension qui régnait entre nous. Je ne connaissais pas Vampire. Je m'étais dit que ce serait une expérience intéressante. Je n'ai pas été déçu ! La relation entre les joueurs était très tendue en permanence, un peu comme s'ils me jaugeaient pendant toute la durée du scénar, prêts à me latter à la moindre connerie...

Malsain. Tandis que je jouais, je me disais "Putain de bordel de merde, qu'est-ce que je fous là... Avec ces malades", mais dès que j'étais dans la rue au petit matin, je ne rêvais que de la prochaine aventure et de notre prochaine soirée. Parce que j'aimais le jeu lui-même. L'idée même est séduisante. On est tout de suite dans l'ambiance... C'est du JdR très sérieux  et c'est bon... Parce qu'on joue très rarement comme ça au JdR.

Le scénario me plaisait, j'adorais les compétences et le background de mon perso... Il s'agissait d'un scénar du commerce.

Ca se passe à Miami, le groupe est convoqué par un Prince pour nous confier une mission d'élimination d'un clan rival (?). Je me rappelle que le MJ - qui m'était inconnu - m'avait prévenu par téléphone que mon perso devrait convaincre le Prince de ses compétences, faute de quoi je n'aurai plus qu'à remballer mes affaires ou regarder les autres jouer ! J'avais demandé au pote qui m'a introduit auprès de ce groupe si c'était du pipeau : c'était déjà arrivé à d'autres. Y déconnait pas le mec !

Mon personnage était Parisien. Rien que le voyage dans la soute de l'avion a été galère, parce qu'il faut bien calculer les heures de vol en fonction du soleil et que mon cercueil a failli se retrouver sur un autre vol... et frouff le vampire ! Je me souviens avoir dans la vraie vie appelé une compagnie aérienne ou Roissy pour connaître les horaires des vols vers Miami.

Et puis j'ai eu du mal à convaincre le Prince - un jet de dé pas terrible sur un tir de précision - mais un autre joueur a pris la parole pour lui raconter un gros bobard qui me faisait passer pour un bon. Dangereux! Même s'il a douté de la véracité de l'histoire, le Prince - et le MJ - a fini par m'accepter.

Le scénario lui-même était très chaud. Je crois que le début de l'aventure se passait en hors-bord. Et que ça se passait mal. Il y a ensuite eu un épisode assez terrible dans la jungle ou les Everglades. Nous dormions dans les sacs noirs qui servent à emballer les cadavres (difficile de se balader dans la jungle avec son cercueil !) et des mecs sont venus nous déterrer en plein jour. L'horreur intégrale.

Nous avions failli y passer plusieurs fois chacun. Mon perso se réveillait un peu plus tôt que les autres et se couchait un peu plus tard, ce qui me permettait de protéger le groupe d'éventuels autres vampires qui seraient venus nous buter pendant notre sommeil. En mourant, en plus d'une blessure d'orgueil, j'aurais diminué gravement les chances du groupe - exposé, en territoire ennemi - de finir l'aventure…! Gulps !

A l'époque, j'habitais en banlieue… Les deux matins précédents, après une heure et demie de transport en commun, je retrouvais avec délice ma couette où je m'écroulais jusqu'à deux ou trois heures de l'après-midi. Au réveil, j'avalais un repas très succinct et je reprenais les transports vers Paris pour retrouver le fil de nos aventures.

La chambre que j'occupais à l'époque en banlieue était située sous le toit du pavillon et la seule fenêtre était un Vélux, juste au dessus de mon lit. Alors que je m'éveillai cet après-midi là, pour entamer une troisième nuit de jeu d'affilée, ce que j'aperçus en premier fut une tache de lumière qui semblait envahir progressivement mon lit. Encore dans les brumes du premier réveil, je fis un bond terrifié hors du lit jusqu'à un coin reculé de la pièce, derrière un fauteuil large et haut.

Je me réfugiai derrière pour me protéger des rayons mortels…

Oui, je sais dit comme ça on n'y croit pas… Ca paraît un peu con mais ça n'a duré que quelques secondes. Dès que je me suis senti bien réveillé j'ai réalisé l'absurdité de la situation et j'en ai même ri. Mon rythme cardiaque ne s'était pas moins emballé. J'entendais cogner mon cœur dans ma poitrine.

Un peu plus tard, au moment d'entrer dans l'immeuble de notre hôte, j'eus une étrange sensation. Indéfinissable, un sentiment de malaise. Je ne ressens d'ordinaire absolument jamais ce genre de chose et je décidai de m'arrêter un instant dans le hall pour tenter de comprendre.

Là encore, ça n'a duré qu'une longue seconde. En fait, je n'avais pas fait attention mais l'immeuble disposait d'une double entrée traversée en son milieu par un long bac de plantes basses, donnant l'illusion qu'il n'y a qu'une entrée avec un miroir sur le côté droit. C'était la deuxième fois que je venais dans cet immeuble, j'étais entré par la gauche et j'avais oublié…

En racontant ces deux aventures au groupe, je les ai fait rigoler - une des rares fois où j'ai vu se distendre leurs zygomatiques, croyez-moi. Je vous ai raconté ces deux témoignages, uniques dans ma vie de rôliste, en écho à un post où l'un d'entre vous demandait si l'on a déjà réellement ressenti de la peur au cours d'un jdr. Si je ne l'ai jamais vraiment expérimenté pendant le jeu, je peux bien avouer l'avoir ressenti à cette occasion. J'avais joué peut-être dix-sept ou vingt heures en deux nuits. C'est sans doute la fatigue conjuguée à une tension nerveuse très inhabituelle qui a généré ce type "d'hallucinations".

Avec le recul, ça reste une expérience très forte pour moi. Ai-je besoin de vous préciser que j'ai fait une pause les jours suivants ?

(c) Le Grand Fan