Page précédente ] Accueil ] Retour ] Page suivante ]

Lettres de ma vie parallèle

Knock-knock-knocking on Heaven’s door *

Avertissement : une fois de plus, mon but n'est pas de dénoncer tel ou tel, mais de montrer comment est déconcertante la rencontre du rêve personnel et de la réalité d'autrui.

Il y a sur le site français de PTGPTB un article d’Andrew Rilstone assez dense, que n’ai pas reproduit dans ma sélection. L'auteur y explique pourquoi il n’est pas satisfait de la plupart des parties de JdR qu’il a jouées, dans un passage très intense :

" J'ai perdu le compte du nombre de fois où le comportement des joueurs eux-mêmes — des êtres humains autrement sains et rationnels — a frustré et détruit le plaisir que je prenais à jouer.  (…)

Vous voyez ce dont je parle, non ? Les parties où la voix du meneur de jeu est étouffée, métaphoriquement et littéralement, par le bavardage hors-jeu. Les parties où le monde de jeu est continuellement brisé par les joueurs.

J'ai joué dans des parties où chaque petit échange entre un joueur et le meneur de jeu était interrompu de façon frivole par un autre joueur ; où une remarque formulée dans la peau du personnage était parodiée par une remarque (d'un manque d'humour atterrant) hors-jeu ; où seulement deux répliques consécutives d'une conversation entre personnages étaient échangées durant toute la soirée ; où chaque scène dramatique était commentée avec ironie ; et, une fois, où le meneur de jeu a passé la séance entière à nous répéter le gâchis que faisaient les PJ de "son" scénario.

J'ai vu des Chevaliers Jedi à Star Wars se faire impitoyablement parodier, juste parce qu'ils étaient des Chevaliers Jedi. J'ai vu des joueurs se faire sermonner parce qu'il jouaient des personnages "irritants" là où l'humour devait venir des personnages les trouvant irritants ; j'ai vu des adultes s'abaisser à la scatologie et aux insinuations.

J'ai participé à des parties où il était impossible, à aucun moment, de faire la distinction entre les voix des joueurs et celles de leurs personnages ; où les personnages-joueurs se réjouissaient de la mort d'un de leurs camarades. "
in Pilule bleue ou pilule rouge?, trad. de Saladdin.(Reproduction interdite)

Et zut, une partie de ce genre m’est arrivée. En plus, dans un scénario qui devait être le couronnement de toute une campagne d’Empire Galactique.

Ce scénario se trouve dans ce qui est pour moi l’un des plus beaux recueil de scénarios pour JdR de Space Opéra, Frontières de l’Empire (Robert Laffont, 1985, épuisé). Les scénarios de ce supplément étaient écris par des pointures du milieu du JdR de l’époque: Jean Charles et Sylvie Rodriguez, François Nedelec, Xavier Jacus, Duccio Vitale. Pierre Zlapotny étant l’auteur de la campagne finale, et le meilleur à mon goût : Marine.

L’intrigue en soi est déjà pas mal, mais la description de la planète constitue un petit dossier de 11 pages. Et c’est un beau monde de Science-Fiction : une planète recouverte à 91% d’eau, Waterworld avant l’heure. Une carte postale de rêve : ciel bleu, soleil chaud, poissons des profondeurs dans la mer d’azur, lagons et sable blanc ; des indigènes qui se promènent presque nus tels les insulaires du Pacifique.

Car il existe une civilisation exotique qui se développe malgré une pénurie de métal, comme dans Un monde d’azur, le très bon roman de Jack Vance (coll. Ailleurs et Demain, Robert Laffont). L’écueil du décor qui sonne " toc " et " trop beau " étant évité par la description de la dureté, la complexité et le réalisme des modes de vie des habitants.

L’auteur réussit en très peu de pages à plonger le lecteur dans la géographie, la vie quotidienne, les intrigues, l'ambiance de ce monde. Bref, il s’agit d’un magnifique univers de campagne de jeu de rôles, pas Glorantha mais presque Dune.

Eh bien, la magie ne prit pas ce soir là. Impossible de faire rentrer les participants de la partie dans le pays du rêve. Presque chaque description fut accompagnée d’un ergotage sur le réalisme de tel ou tel aspect.

" nous sommes au 106ème siècle, et l’équipement de plongée que tu nous proposes c’est un masque et des bouteilles d’oxygène ? " - que répondre à cela ? C’est une planète arriérée et une mission secrète !

" pour maintenir l’équilibre démographique, les femmes n’ont pas d’enfant avant trente ans ? C’est ridicule, les enfants sont plus viables quand les femmes enfantent avant trente ans ! et comment réprimer les pulsions sexuelles de la vingtaine ? " - ceci énoncé par des rôlistes mâles célibataires.
" des mâts de catamarans de 50 mètres ? Beaucoup trop haut ! " - suivi d’un débat hors sujet sur l’architecture navale, entre néophytes comparant leur absence de connaissances.
Sur les matériaux utilisés dans la confection des formidables catamarans : " une plante extra-terrestre sous-marine ayant la forme d’une plaque de contreplaqué ? Trop risible ! Quand est-ce qu’on pourra pêcher des morceaux de steak ? ".

Pierre Zlapotny avait réussi à créer un univers cohérent, et les joueurs s’ingéniaient à y trouver les failles. Une traque du " détail qui tue " qu’ils ne mènent jamais dans un univers d’Héroïc-Fantasy, pourtant beaucoup plus riche en contradictions.

Oh, nous n’avions pas mis toutes les chances de notre côté. 
Nous venions de terminer un scénario Star Wars se déroulant sur Mon Calamari et les joueurs étaient blasés de l’exotisme des planètes couvertes d’eau.
Nous avons commencé tard.
Nous étions au moins trois à être très fatigués, je ne m’étais résolu à maîtriser que parce qu’il n’y avait pas d’autre proposition de partie.

Nous nous sommes disputés : j’ai demandé à mes joueurs de prendre des notes. Ils m’ont dit que je devais leur rappeler ce que leurs personnages avaient retenu, et que le scénario foirerait par ma faute si je ne le faisais pas. J’ai dit que je m’en foutais et que je ne ferai pas leur travail à leur place. Je dois jouer leurs persos à leur place aussi?

Cette absence de prise de notes sera d'ailleurs presque fatale au scénario. Les joueurs qui ont complètement oublié la mission de leurs personnages attaqueront militairement une plantation alors qu'elle ne fait l'objet que d'un redressement fiscal...

Je n’ai pas été le dernier à me laisser aller à des calembours foireux, à des taquineries visant tel ou tel, et mes descriptions pitoyables devraient m’interdire à jamais toute prétention littéraire : " le ciel est bleu, la mer est belle, … les vagues… font floc-floc… et euh… le ciel est bleu… ". Pas si facile d'instiller l'ambiance!

L’inanité des descriptions étant masquée par le fait qu’elles étaient soit interrompues, soit ignorées par des joueurs faisant des apartés bruyants.

Ajoutez à cela les habituels pinaillages de parties :
- tu ne m’as pas dit que tu cachais ton fusil-laser ! Ils le voient !
- si je l’ai dit avant, et même je l’ai écrit !
...si nombreux que je ne les ai pas collecté.

Cela ne nous a pas empêché de bien rire souvent, mais la partie est restée au niveau de la soirée débridée entre amis en petite forme. Nous sommes restés à la porte du pays des rêves. A la porte du paradis.

Sans doute attendais-je trop de ce scénario et ai-je été déçu d’une manière disproportionnée; je n’avais pas réussi à communiquer mon enthousiasme. Je voulais que les joueurs s’attardent sur le décor, et l’aventure a avancé à toute vitesse, alors que d’habitude elle retarde sur le planning. Je voulais que les joueurs passent du temps en roleplay à discuter avec les PNJ, et voilà qu’ils se concentrent sur la mission. Le dossier prévoit une liste de rumeurs pour les personnages qui tentent de récupérer des informations, mais cette liste ne sert pas.  Comme des touristes pressés, ils filent vers leur destination, au lieu d'enquêter et de s'imprégner du décor, comme des agents secrets…

Leçons de l'histoire

D’abord, cette partie n’aurait pas dû avoir lieu ; je n’aurais pas dû maîtriser fatigué.
Ne maîtrisez pas fatigué. Ayez une saine hygiène de vie pour pouvoir faire de bonnes parties. Faites du sport, couchez vous tôt: voilà à quoi nous ramène le Jeu de rôles !!!

En ce qui concerne l'ambiance: j’aurais dû mettre les choses au point dés le début, dés la première remarque.
j’aurais dû dire auparavant à mes joueurs ce que j'espérais de cette partie, l'attitude que j'attendais de leur part. Je les aurais alors prié de se laisser aller dans l’ambiance en abandonnant esprit critique et notions du XXème siècle au vestiaire.
J’aurais dû expliquer que le Space Opera se soucie peu de vraisemblance, des projections, qu'il n'est pas un exercice de futurologie, et même qu’il est moins crédible que le Cyberpunk.
Voyant comment tournaient les choses, j’aurais pu prendre à part le joueur le plus pinailleur et tenter de m’expliquer avec lui.

Au debriefing, ce récit de partie donne une liste d’erreurs à éviter. mais j’en tire aussi une conclusion plus générale : faire partager son rêve est un art (le conte) que l’on ne cesse jamais de réapprendre.

En prenant du recul, un autre aspect du JdR m’apparaît : c’est vraiment la rencontre d’autrui. Le MJ arrive avec ses idées et son programme, son monde dans la tête, son envie de partager sa vision et aussi sa conception de ce que va être le scénario.
Mais les joueurs de leur côté arrivent avec des intentions forts différentes, un autre état d’esprit, un autre avis sur ce qu'est une partie réussie.
Et le projet du MJ rencontre de plein fouet le public constitué par les joueurs. Le MJ doit faire de ce télescopage d'opinions une séance où tout les participants poursuivent un but commun. Une partie où il s’amuse autant que les joueurs, simultanément.

C’est un exercice continuel de dramatique remise en cause et de concessions. Cela tourne parfois au bras de fer : le MJ veut imposer ses vues ; s’il est trop autoritaire, il risque de dresser ses joueurs contre lui. S’il est trop passif, il abandonne ses ambitions et s’ennuie. Reste le compromis, dont on dit qu’il ne satisfait personne…

C’est vraiment une fonction d’encadrement, d’autant plus difficile que vous ne pouvez pas obliger vos joueurs à vous obéir : ils n’ont signé aucun contrat, et vous ne les avez pas payé ! Ils ont la même obligation que vous: arriver à passer un moment agréable.
Réfléchissez un peu, et vous verrez que cette expérience atteint en intensité toutes les réunions de travail collectives que vous pouvez rencontrer dans votre vie professionnelle. Elle ouvre, définitivement et contrairement à toutes les idées reçues, les rôlistes vers le monde extérieur.

© Rappar

Un article relatant une expérience proche, et en tirant des conclusions très intéressantes - et pourtant il est d’un MJ Australien -, est disponible sur ce site : maîtrisez comme un homme !

* "je frappe-frappe-frapperai  à la porte du paradis..." paroles d'une chanson de Bob Dylan, reprise entre autres par les Guns'n'Roses

(c) Rappar


L'avis de Pierre Zlapotny

Vous pourrez ajouter à l'adresse de vos joueurs que :

L'âge du premier enfant est moins une question de technologie que de niveau de vie. Certes, l'un va de pair avec l'autre... la plupart du temps. Mais il est tout à fait envisageable que les "sauvages" améliorés que sont les Marinaes repoussent l'âge du premier bambin, ne serait-ce que pour des raisons pécuniaires.

Car après tout, les femmes travaillent, et font les mêmes métiers que les hommes, on peut supposer qu'elles gagnent autant d'argent, et il est combien plus sympathique d'accueillir le premier enfant après avoir, à titre d'exemple, acheté à deux "ce petit caboteur d'occasion, à retaper mais pas trop, avec sa belle cabine de trois pièces toute de bois verni".

Par ailleurs, en ce qui concerne les "pulsions sexuelles", il y a une méthode basée sur un certain cycle de 28 jours qui est très efficace si la dame est régulière et sait compter le nombre de levers de soleil (vous savez le truc lumineux qui se lève tous les matins). D'autre part, je puis expliquer à votre ami certaines pratiques, certes réprouvées par la morale, mais bien agréables quand même. Enfin s'il n'est pas trop coincé.

"Les mâts de cinquante mètres de haut, c'est beaucoup trop haut !!!". Vous direz à votre ami (je suppose que c'en est un) qu'il a tout à fait raison. D'ailleurs, les plus lourds que l'air ne peuvent pas voler (c'est prouvé), de même que les hannetons (Sikorsky en rigolait beaucoup).

Dans un autre ordre d'idées, faire passer une voie de chemin de fer sous un tunnel conduira les malheureux passagers du train qui s'y engagerait à l'asphyxie. Idem pour le saut en chute libre : incapable de respirer, le pôôôôvre parachutiste sera infichu de déployer son pépin et s'écrasera au sol. Dans un autre ordre d'idées, je ne me souviens plus de la taille des mats des catamarans de "The Race", mais ils ne sont pas trop mal. La hauteur d'un mât dépend de la vitesse moyenne des vents rencontrés, de la valeur de g (9,81 m/s² sur Terre), de la taille de la coque etc.

quand à l'impossibilité qu'il existe dans la nature : des arbres permettant des faire les fameux mats de 50 m, des algues à contre-plaqué, des Bidochiers, (qui fournissent des excellents steaks), je répondrais que j'aimerais bien disposer de certains outils que fabrique la nature (la peau humaine, celle du requin, le plan de voilure de l'albatros, la résistance du manchot au froid, le cerveau ...)

Il est marrant de constater que les vrais rationalistes sont de grands rêveurs, et les pseudo-scientifiques de Café du Commerce de véritables infirmes de l'imagination. Si les Montgolfier n'avaient pas perdu des mois à rêver en regardant passer les nuages, auraient-ils fait voler leurs superbes ballons ?

Page précédente ] Accueil ] Retour ] Page suivante ]