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Lettres de ma vie parallèle

Maigret à Rogukan

C’était trop beau : nous voulions des précisions sur l’étendue de nos pouvoirs de magistrats à Legends of The Five Rings.

Réponse du Maître de Jeu: nous sommes les champions du Champion d’Émeraude. Nous sommes la police spéciale. Nous ne traitons que des affaires d’État, au nom de l’Empereur. Le FBI, quoi.

Arrivant à Riokio Oari Totshi (à vos souhaits), cité du clan Scorpion surnommée « la cité des mensonges», première difficulté et premiers tiraillements dans le groupe : des invitations de deux factions de notables pour le même soir. Afin de limiter les déceptions, nous décidons d’aller prendre le thé chez l’un et l’apéritif chez l’autre.

Geïsha (pas Mme Maigret)Le premier petit daimyo qui nous reçoit (il y a plein de daimyos dans ce jeu) nous fait comprendre d’un air hautain que nous sommes priés de rester à notre place en remplissant notre mission de maintien de l’ordre, sans importuner la classe supérieure, fouiller dans ses placards ni exposer ses collusions.

Mais le commissaire Maigret faisait partie des personnages-joueurs, et nous ne le savions pas. Maigret, voyez dans Simenon, a pour habitude de brusquer ses interlocuteurs pour les mettre mal à l’aise, les faire craquer et lâcher des informations. Quelqu’un qui connaît son pouvoir de flic emmerdeur et en use. Ou Chabrol et l’inspecteur Lavardin, qui fait tomber le masque d’hypocrisie des bourgeois imbus d’eux-mêmes.

L’incorruptible Maigret-san ricane ouvertement des sous-entendus de notre hôte le daimyo. L’atmosphère gèle, nous prenons congé très vite et MJ-Jeff nous inflige 3 points de perte en Honneur.

S’ensuit une discussion entre joueurs très intéressante à suivre. Globalement, on reproche au joueur de "Maigret" de jouer cavalier seul, de ne pas suivre les décisions du chef qui n’a pas été désigné, et d’avoir fait perdre à tous 3 points en Honneur. Le joueur proteste.

Et si on était allé regarder Terres Mythiques pour éviter de dire n'importe quoi ? Le samuraï ignore les intrigues : 

« Les mains manipulent l'épée, l'esprit manipule les mains. Cultiver l'esprit et ne pas être préoccupé uniquement par les astuces, feintes et plans. Ce sont là les qualités d'un sorcier, non d'un samurai. » (sentence de Yagyu Renyasai).

Cependant, "Maigret" ne respectait pas une des traditions du Bushi, je cite encore Terres mythiques :

« les bonnes manières font partie du style de vie des japonais. L'étiquette est une part importante de la vie en société. S'incliner, marcher, attendre, se tenir à table  et servir le thé  furent développés jusqu'à devenir des cérémonies rituelles. L'étiquette harmonise l'être dans sa totalité avec lui-même  et son environnement et exprimait une maîtrise de l'esprit au travers de la chair. L'élégance représentait l' « économie de la force » (…). Les fines manières signifiaient la puissance au repos. »

Après les reproches, un PJ samuraï subalterne se dit honteux d’avoir des chefs aussi dissipés. Il menace de se faire seppuku pour expier cette honte, mais pas avant d’avoir « forcé seppuku » à ses supérieurs

Terres Mythiques nous aurait encore éclairci sur ce point du Japon féodal : le samuraï subalterne fait référence au Kanshi 

« une forme poignante, mais bien réelle de gage d'absolue loyauté et de don de soi ultime consistait à pratiquer le seppuku lorsque, ne pouvant déroger au devoir de loyauté envers son seigneur et ne pouvant se permettre de faire des remontrances à cause d'un comportement irresponsable de ce dernier, le samuraï se donnait la mort en signe de protestation ». 

Il est donc absolument exclu qu'un samuraï menace de massacrer ses chefs, même indignes.

Et ce n’est pas fini ! Un autre débat suit, sur l’interprétation à donner à la phrase « nous réglerons cette affaire dans le jardin demain matin». Invite belliqueuse ou pas ? Le samuraï du clan scorpion s’amuse à envenimer la dispute.

L’affaire se résout par un duel au premier sang, ce qui n’est pas sans rappeler AD&D, où les conflits d’alignements se règlent en bastons entre persos.

Pourquoi avons nous joué ainsi ?

Ces univers japonais ne tolèrent pas la déviance. La langue n’a pas intérêt à fourcher : dans le jeu Bushido dites « humble daimyo, ton noble serviteur te salue », au lieu du contraire, et votre tête roulera sur les tatamis. Précisez aussi au MJ quand vous rentrez en paix chez quelqu’un, que c'est le katana tourné la pointe vers le bas, etc. 

Évoluer dans un cadre si strictement codifié est l’intérêt et la limite de ces jeux. D’ailleurs ils ne prévoient pas d’aventures pour les persos qui ont perdu leur honneur. Ronin = game over.

Et le MJ ? Un peu de recherche sur les règles montre que le score d’Honneur représente l’opinion que le samuraï a de lui même. Quand le samuraï est l’objet de l’opprobre publique, c’est en fait des points de Gloire qu’il perd. Les autres samuraïs peuvent se sentir déshonorés d’être en telle compagnie, mais les conséquences sont laissées à l'appréciation des joueurs. Le MJ laisse les joueurs libres de leurs actions, puis fait un douloureux rappel à l’ordre.

Alors ? Je suis amené à conclure que
L5R est au Japon historique ce que AD&D est au moyen-âge. C'est d'ailleurs certainement une des raisons de son succès. Les joueurs et le MJ doivent comprendre, comme Socrate, qu’ils ne savent rien de cet univers, sauf la version hollywoodienne.

Que les joueurs se mettent d'accord entre eux sur le fait qu'ils jouent dans un univers non-historique: celui de Maigret et de l’anti-samuraï. Pour jouer des personnages qui aient autre chose des samuraïs que le nom, les amateurs joueront à Bushido et GURPS Japan.

Les citations proviennent vous l'avez compris du site Terres Mythiques, dont la partie consacrée à Bushido  est très riche en citations, explications des traditions des samuraïs, règles diverses pour le jeu, bouddhisme et zen, 20 scénarios, etc. Un détour indispensable pour mieux jouer dans les univers japonais.

(c) Rappar

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