[ Page précédente ] [ Accueil ] [ Retour ] [ Page suivante ]
Lettres de ma vie parallèle
A ma gauche,
lors de cette mémorable partie de Cyberpunk le plus fameux tueur de scénarii, Sly !
A ma droite, toujours la même partie, le champion du monde de
roleplaying (catégorie lourds) : Ugh, le joueur Professionnel ! (aux deux
sens du terme).
On ne présente plus Sly-la-gâchette, qui
déverse dans le jdr des torrents de violence. Pourtant le joueur est intelligent (il joue
aux jeux de rôles !), serviable, agréable... Mais enfin chacun vient aux jeux de rôles
pour une raison différente.
Sly-le-Bourin interprète Peter
Atkinson, un solo, garde du corps cybernétisé de partout. Sly-la-Brute
sennuie pendant les combats : sa créature optimisée encaisse sans broncher plusieurs
rafales de fusils-mitrailleur. Pourtant, Sly-le-Minimaxeur ne fait quexploiter les règles. Le MJ
na pas la force de les refondre pour rééquilibrer la lance et le bouclier.
Le personnage est devenu un golem psychopathe
invulnérable qui tue les PNJ alliés ou porteurs d’informations. L’intrigue ?
Le scénario ? Pour quoi faire ?
Et Ugh ? Ce joueur transcende les règles : refusant le carcan
des classes de personnages ; il crée: le joueur professionnel. Cette
classe de personnage longue à créer ressemble furieusement
in fine à une sous-espèce de la bonne vieille classe de Fixer.
C'était bien la peine !
Action !
Black Jack, son personnage, joue au poker toute la nuit avec
des yakuzas, passant épisodiquement un coup de téléphone
portable au reste des personnages. Mais il tire le ver du nez de ses
partenaires, et cela donne un très beau moment de roleplaying entre MJ et
joueur. Et le roleplaying, même si je n'y participe pas, j’aime !.
Pendant ce temps, les autres cherchent un gangster dont la petite amie
Amanda exerce comme prostituée. Peter Atkinson, trouvant ses coéquipiers trop
subtils, part une fois de plus en solo pour linterroger. Mais après,
il ne sait
plus quoi en faire ! Il la ligote et sen va.
Les autres personnages veulent à leur
tour interroger Amanda. Peter, un peu penaud, rapporte sa petite épopée perso.
Cest quAmanda va être un peu sur ses gardes, maintenant !
La situation devient burlesque : les
PJ mènent une formidable opération commando pour enlever une autre prostituée,
afin de lui faire révéler ladresse personnelle dAmanda.
Pendant cette action, que fait Black
Jack ? Le joueur a envoyé Black Jack dormir. Quel Roleplay ! Bientôt, il
signalera au MJ " mon personnage va pisser ".
Léquipe traverse Night City pour le récupérer.
Au moment où il grimpe dans le van, Black Jack voit la kidnappée et redescend
" oulàlà, je ne me mêle pas de ces affaires moi ! "
Ainsi le joueur aura conservé son titre de champion du roleplaying " vu
son caractère, mon personnage ne pouvait sassocier à une telle opération"
(sic) et il aura aussi fait sortir son personnage de la partie.
A ma gauche, jai un
joueur prêt à tuer un scénario en faisant jeu à part, qui cache aux autres personnages
ce qui est nécessaire à la réussite de la partie. Mais ne se rend-il pas compte qu'il y
a d'autres joueurs ?
A ma droite, jai un joueur prêt à
suicider son rôle dans la partie, justement pour interpréter jusquau bout son
rôle ! (" je lai bien joué, non ? ").
Eh, les gars, le jeu de rôle cest
un jeu de coopération, pas de compétition !
Ces deux attitudes différentes ont comme
résultat commun de transformer une séance en une suite de parties solos qui excluent les
autres joueurs (ou lui-même). Je naime pas ça en tant que joueur, et en tant que
MJ jessaye que mes joueurs maintiennent groupés leurs personnages.
Il y a une sorte de contrat tacite.
" le jeu de rôle est un jeu de
société qui se pratique à plusieurs. Il y a dun côté le plaisir convivial à
voir des amis, à partager quelques bons moments avec eux, et de lautre côté le
plaisir, collectif lui aussi, dévoluer comme un groupe. (
) Parce que sinon,
il est impossible de surmonter les embûches du scénario. Le travail déquipe
constitue en soi un plaisir extraordinaire. Les moments fugitifs et rares, où les
personnages [les joueurs ?]
se comprennent dun regard, où un mot, une
allusion, suffit à les jeter dans une action commune où chacun sait parfaitement ce que
les autres attendent de lui, ces moments-là sont parmi les plus précieux quoffre
le jeu de rôle "
- (Pierre Olivier, Casus Belli n°107, p.32).
Cest clair, non ?
Pour finir, un triste exemple
personnel : au club de cette université parisienne, on maccepta
dans une campagne en cours. On me fit un clerc, les autres personnages ayant besoin de
soins. Ce personnage était membre dune tribu isolée et méfiante : je
lai interprété à fond. Je me suis fait longuement prier pour soigner les
personnages, et jai emmerdé leurs propriétaires.
Résultat : les personnages repartent
sur la route, je me demande pourquoi mon personnage quitterait sa tribu pour suivre ces
étrangers. Lorsque je me décide, le MJ me dit que je les ai perdu de vue. Je sors de la
partie et le club me colle une étiquette de joueur à éviter. Jai eu beaucoup de
mal à rejouer avec ces gens
Laissez tomber une interprétation stricte
et égoïste de votre personnage. Pensez aux autres joueurs, et au MJ, et suivez le
mouvement. Cela semble aller à contre-courant de la tendance actuelle, qui est
dadapter le scénario au personnage. Mais dites vous que vous ne vous soumettez pas
au scénario, mais à la partie