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Des débuts prometteurs (2)

Deuxième outil : les motivations

Souvenir: Dans cette partie, nos persos partirent en expédition pour un noble, contre de l’argent. Ce n’était guère enthousiasmant. A la fin de l’aventure, le noble nous déclara qu’il n’avait pas d’argent pour nous payer ce qu’il nous devait. Nous fîmes : " Ben… anoblissez-nous alors." Et le MJ : "ah bon, cela vous plairait d’être anoblis ?".

Les personnages étaient sortis du néant, balancés dans une aventure dont la récompense ne les concernait pas vraiment… Je compris alors que le MJ et nous autres joueurs aurions dû prendre le temps de réfléchir aux motivations de nos persos, même pour un scénario unique. 
Nous aurions autrement été motivés si on nous avait appâté avec l’augmentation de notre statut! Nous aurions fait du roleplay en long et en large, jouant nos persos en train de s’imaginer nobles, faisant des plans sur l’avenir, s’appelant déjà par leurs futurs titres, etc. A la rigueur, la motivation ne change rien à l’aventure proprement dite: nous accomplissons la mission de toute façon; elle change la façon dont nous l'abordons. Ainsi, si le MJ adapte un peu le début du scénario aux motivations des PJ, sa perception sera grandement améliorée.

Je l’ai déjà écrit quelque part : la motivation du personnage doit être déterminée lors de sa création, et écrite sur la feuille de personnage, au même titre que la liste des compétences ou son matériel.

Cela permet tout de suite de voir pour quels mobiles le personnage ira en aventure. 
Exemple tiré de Odieux, 15 points : le Jedi ne se déplace que pour des missions humanitaires ; il faut modifier la trame initiale de telle façon qu’il y ait quelqu’un à sauver.

Cela permet d’accepter des personnages qui correspondent à l’aventure. Lorsque les joueurs proposent leurs persos, le MJ acceptent ceux pour qui le scénario aura le plus de prise.
Si votre aventure prévoit de sauver la veuve et l’orphelin, refusez les personnages uniquement motivés par le pouvoir personnel et l’argent.

Une fois les mobiles déterminés, c’est à vous de tordre le début de l’aventure afin que chaque motivation soit actionnée. Au besoin, vous devrez vous entretenir individuellement avec chaque joueur, lui faire jouer une " scène " solo, pour lui montrer ce qui motive son personnage.

Exemples :

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Le paladin cherche la gloire : faites lui assister à une discussion au cours de laquelle son seigneur souhaitera à haute voix que le donjon soit " nettoyé " de ses monstres.

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Le nain cherche à tenir haut l’honneur de sa famille : signalez-lui qu’un de ses ancêtres a perdu jadis une relique familiale dans le donjon. Il n’aura de cesse de le retourner pour retrouver l’objet. (une mine d’idées de motivations pour Nains archétypiques est disponible dans l’article "Moi le Nain")

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Le magicien cherche des sorts pour devenir plus puissant: glissez-lui qu’il pourrait garder pour lui-même " seulement pour l’étudier " la gemme que désire son employeur.

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Le voleur… mais voyons, que cherche un voleur ? De l’or et du risque ! Suggérez-lui que l’exploration du donjon sera une promenade de santé, et d’un formidable rapport.

L’autre avantage de fixer les motivations au départ, c’est que vous percevez aussi les conflits potentiels entre personnages-joueurs. Si un joueur a pris un guerrier elfe, et un autre s’est fait un nain raciste qui veut se venger des elfes qui ont détruit son village, alors vous devez refuser un des personnages. De même, vous le MJ pouvez demander à vos joueurs de " coller " aux motivations qu’ils vous ont annoncé lorsqu’ils vous ont proposé leurs personnages. Si le nain qui ne devait s’intéresser qu’aux trésors se découvre soudainement une haine des elfes, vous avez le droit de refuser net " ce retournement de personnalité ".

Le fait que les personnages aient des motivations enrichira de plus l’aventure (et idéalement ne devrait enrichir que la fin). Que se passera-t-il lorsque le voleur voudra revendre la gemme, que le magicien exigera de la garder, tandis que le paladin et le nain refusent de partir avant d’avoir exploré toutes les salles ? Une dispute s’ensuivra, mais là ce sera moins grave car les personnages auront traversé ensemble moult épreuves, et seront amis.

Tout ce que je dis plus haut est particulièrement valable pour des jeux avec des alignements. La grosse erreur des alignements, c’est de finalement laisser beaucoup de marge à l’interprétation, alors que si on les chiffre, il est beaucoup plus facile d’estimer à quel point un joueur se voit obligé d’y coller. 

A Pendragon, les traits de personnalités sont chiffrés et peuvent se confronter ; si un PJ avec 17 en Rancunier s’oppose à un PJ avec 13 en Indulgent, les règles prévoient comment la confrontation se résout, quels dés jeter, quel trait prédomine, et comment. Cela, sans en arriver aux contestations et aux disputes qui empoisonnent nos parties : ce sont les règles, on les applique avec le résultat des dés, point final.

Bien entendu, je pourrais vous donner des règles pour gérer les oppositions de motivation. Mais je crois que c’est assez évident à gérer avec un " chiffrage " de la motivation (si cet aspect vous intéresse, achetez plutôt Pendragon, c’est une belle mécanique !).

Vous devez demander aux joueurs quel est leur degré de motivation. Demandez-leur d’estimer leurs orientations sur une échelle de 5 (1 étant peu enthousiaste, 5 étant fanatique).

Si un des personnages, officier dans une unité d’élite, fanatiquement dévoué à l’Empereur, hyper-discipliné, estime cet ensemble de motivations à 5 ; et qu’un autre est prêtre de l’Eglise Anarchiste, grande gueule, hostile à toute autorité, prêchant et disposé au martyre (motivation estimée à 4), alors vous avez un PROBLEME.

Si par contre, leur motivation ne monte qu’à 2 sur l’échelle, ou à la rigueur 3 pour l’un et 1 pour l’autre, alors vous n’avez plus un
problème : vous avez une OPPOSITION propre au roleplay; ou à une émulation créant elle-même des scènes amusantes. C’est ce que vous explique Star Wars (de WEG) de long en large, avec les oppositions noble/gentil vaurien, vieux/gamin, dur-à-cuire/intello maladroit.

Quand j'écris "estimez la puissance des motivations sur 5", vous pouvez l'estimer sur 20, sur 6, sur ce que vous voulez qui correspond aux règles que vous utilisez. 

Avec les règles de
Pendragon, nous dirions que l'officier a Loyauté (Empereur) à 17... Et c'est ce qu'on rajoutera sur la feuille de perso.

Par ce moyen, vous pouvez autoriser aux joueurs des personnages relativement différents, sans craindre que les joueurs se mettent à les interpréter de manière extrême, et que les personnages se séparent, ou pire qu’ils s’entretuent.

Parfois, il vous faut créer les motivations de toutes pièces, parce que les personnages ne les ont pas au départ. Prenez alors une demi-séance pour enraciner les PJ dans le décor, avant de vous appuyer dessus pour les motiver.

Exemple :
1-Ce que vous voulez : que les PJ restent pour défendre un village qui va se faire attaquer par une armée.
2-Ce que vous voulez éviter : la réaction "une armée arrive ? Vite, tirons-nous en abandonnant les villageois à leur sort !"
3-Ce que vous faites : vous impliquez les personnages dans la survie du village, avant.

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le paladin ou le magicien sont nommés au conseil municipal – si on ne les nomme/élit pas carrément seigneur/bourgmestre !

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Un marchand bien informé propose au nain une super affaire : une magnifique résidence dans ce village avec un magnifique sous-sol, pour une bouchée de pain. Une fois l’achat conclu et les travaux effectués, il ne va tout de même pas la laisser piller par l’armée ennemie ?

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une magnifique jeune habitante du village tombe amoureuse du voleur, le présente à ses parents, qui l’accueillent bien, etc. : il ne va pas abandonner là sa future belle-famille?

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le clerc apprend que le village est bâti sur un sanctuaire en ruines. Hors de question de le laisser occuper par des hordes honnies, alors qu’il faudrait commencer les fouilles !

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et ainsi de suite. N’hésitez pas à donner des possessions, du pouvoir (et les responsabilités qui vont avec) et de la famille aux personnages. Ce sont autant d’attaches, d’ancres, et de motifs d’aventure (c’est une loi de Murphy, ça : ce que donne le MJ, c’est toujours des causes de problèmes !).

Lorsque vous jouez sur les motivations de leurs personnages, les joueurs sont extrêmement flattés, et sont davantage enclins à se laisser guider par le MJ dans l’intrigue.

Joueurs , donnons des objectifs et des motivations à nos personnages.
MJ, créons des histoires plus proches des ambitions des personnages.
Avec un peu d’effort, il ne devrait plus y avoir besoin d’employeur/lanceur de quête ; les PJ se précipiteront d’eux-mêmes dans les aventures.

En fournissant une raison qui réponde à chaque motivation prédéfinie, en arrangeant le décor de manière à impliquer les personnages, on donne aux persos de bonnes raisons de faire l’aventure. En estimant la profondeur des motivations, on désarme par avance les conflits, et on donne aux persos des bonnes raisons de rester ensemble. En jouant sur les motivations des personnages, pas sur celles des employeurs, on fait rentrer les persos de plain-pied dans l’intrigue.

Ce sont les persos les Héros, pas les Personnages-Non-Joueurs 

Je me souviens d'avoir créé un scénario pour l'Appel de Cthulhu qui débutait ainsi:

- les personnages sont invités au chevet d'un malheureux qui voyage dans les Contrées du Rêve chaque fois qu'il dort.
- un type avec un pendule détermine l'emplacement d'un portail qui mène à ces Contrées.
- l'EMPLOYEUR, craignant une invasion extra-dimensionnelle, demande aux Héros d'aller voir cela.

Ridicule. Quelles grosses ficelles! Pourquoi faire arriver à des PNJ ce qui peut arriver aux PJ ? Les joueurs ne sont pas les spectateurs des personnages du Maître de Jeu! 

- un des Personnages-Joueurs dort de plus en plus mal: il cauchemarde et revient encore et encore dans un même monde terrible.
- un autre Personnage-Joueur
(à qui vous aurez pris soin de faire prendre la compétence "pendule") détermine l'emplacement d'un portail qui mène à ces Contrées.
- un troisième personnage, très riche, prend conscience
(aidé par le MJ) de la menace d'une invasion extra-dimensionnelle. (Combien vous pariez que son joueur va proposer aux autres d'aller voir cela?)

Traquez tous les PNJ seconds rôles ou figurants de vos scénarios, et demandez-vous s'il peuvent être remplacé par un PJ, si le projecteur peut ainsi passer plus de temps sur les personnages de vos joueurs.

Note : rien de mieux pour insérer un nouveau joueur dans une partie en cours et un groupe déjà formé. Généralement, vous ne savez pas quoi faire du joueur et lui donnez un PNJ-devenu-PJ. Résultat : le nouveau joueur ne se sent pas du tout concerné et se demande ce qu'il fait là, et son perso quitte l'aventure et le joueur avec.

On me fait un perso clerc parce que les autres PJ ont besoin de soins. Le personnage est parachuté au milieu de la campagne : il est membre d’une tribu isolée et méfiante. Les PJ y débarquent, blessés. Brûlant de montrer mes talents d’interprétation aux autres joueurs, j’interprète mon perso à fond : je me fais longuement prier pour soigner les personnages, et j’emmerde leurs propriétaires. Résultat : les PJ repartent sur la route. Je me demande pourquoi mon perso quitterait sa tribu pour suivre ces étrangers. Lorsque je me décide, le MJ me dit que je les ai perdus de vue. Je sortis de la partie avec une étiquette de joueur à éviter. J’avais foiré mon intégration dans le club.(Parcours4)

MJ Hervé invite son frère dans la campagne. Mais il lui donne un perso qui est étranger à la ville où on joue, et qui se sent aussi impliqué qu'un Papou à Paris... Sans surprise, le frère jette l'éponge.

Donnez-lui un personnage central. Un PNJ important, ou un personnage-joueur. Vous aurez travaillé sur ses motivations et ses interactions avec les autres PJ autant que lors de la création des persos des autres joueurs. Vous aurez prévu sa place dans l'intrigue principale et des intrigues secondaires rien que pour lui, afin de scotcher le nouveau joueur qui saura qu'il a des choses à faire.  Ne le voyez pas comme un personnage secondaire, mais comme un principal.

D’autres fois, quand les persos sont tout neufs et que leur background est bien mince, il faut extrapoler " l’aventure qui vient aux persos " sur le métier des persos. D'où l'importance du "casting" de personnages en fonction de l'aventure, lors de la création des persos. Un guerrier, c’est fait pour se battre; un artisan se crée des jaloux; un mage a des concurrents ; et des tas de gens vont en vouloir à un voleur.

Dans une campagne, les conséquences de la première aventure peuvent être utilisées pour raccrocher les scénarios suivants. Ils se sont fait des ennemis dans l'épisode 1? Ce sont ces ennemis précisément qui vont être à l’initiative des scénarios suivants. Le Grand Méchant, (celui qui ne meurt jamais et qui jure de se venger des PJ) est corvéable à merci. Placez le simplement un cran derrière l’intrigue principale.

Exemple : les gobelins qui attaquent les PJ ne le font plus "parce qu’ils passaient au mauvais endroit au mauvais moment" : c’est bien aux PJ qu’ils en veulent...

- dans le cas d'un premier épisode: ...parce qu'ils en veulent particulièrement au nain, dont la famille jadis expulsa des gobelins de leurs souterrains. (vieille vendetta)

- dans le cas d'une campagne: ...parce qu’ils sont en fait pilotés par leur adversaire du dernier scénar. 

Un des gobelins, blessé ou prisonnier, leur parle d’une gemme qui donnerait à leur adversaire le pouvoir d’en finir avec eux (variante: qui leur permettrait de faire très mal à la famille du nain). Justement, le donjon est juste à proximité…

Ce n’est plus l’intérêt qui va pousser les personnages dans l’aventure, c’est la menace sur eux-mêmes. Ce qui est un moteur encore plus puissant.

Dans 20 ans après, prologue les tuiles s’abattent sur le personnage principal dés le début. Or, cette agression est causée par le passé de la famille même du personnage. Les PJ veulent savoir qui les agresse et pourquoi, découvrir le passé de la famille, et se lancent dans l’enquête et la découverte du décor de la campagne .

Bon d’accord, c’est presque des pré-tirés ; il n’empêche. Un personnage, cela se crée avec le MJ.

Voyons si cette technique mélangeant introduction directe dans l’aventure et liaison avec la nature des personnages correspond aux critères de bons début d’aventure :

bulletles persos sont menacés, ils ont de bonnes raisons de faire l’aventure.
bulletUnis, ils sont plus forts ; cela les fait rester ensemble.
bulletL’intrigue prenant en compte soit la nature, soit le passé des personnages, ils se sentent impliqués.
bulletLes joueurs sont directement entraînés au cœur de l’aventure donc peu de dispersion hors de la trame.
bulletLe décor n’a plus besoin d’être posé ; l’action le remplace. Le MJ se contente de donner quelques indications sur l’environnement de l’action qui entoure les PJ.

Exercices pratiques

Voici des débuts d'aventure bien bateaux. Transformez-les en débuts bien motivants lançant directement les PJ dans l'action, de préférence en les menaçant.

  1. Appel de Cthulhu: le PJ reçoit une lettre lui annonçant la mort d'un oncle lointain, dans de mystérieuses circonstances.
  2. Warhammer: les séides du Chaos conspirent en ville. Mais au fait, en quoi cela concerne-t-il les PJ?
  3. Shadowrun: M. Johnson a une mission d'extraction, ou de récupération de puces de données, pour les PJ.

Réfléchissez bien... et puis rendez-vous aux solutions.

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